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Auteur : Magali Duru
Date de saisie : 00/00/0000
Genre : Romans et nouvelles - français
Editeur : Quadrature, Louvain-la-Neuve, Belgique
Prix : 16.00 €
ISBN : 9782960050677
GENCOD : 9782960050677
Les onze nouvelles de ces Beaux dimanches, plus cruelles qu'il n'y paraît, jouent avec ironie de nos illusions. Naviguant du Japon au Canal du Midi, elles mêlent le bleu au noir, l'atroce à l'humour. Elles nous mènent de la clarté des petits matins, promesses d'échappées belles, aux désespoirs des jours où la raison se perd. A moins que le Destin, pour une fois, ne lâche prise ?
Née à Antibes, toulousaine d'adoption, Magali Duru a passé bien des années à dévorer les mots des autres avant d'oser choisir les siens. Nouvelliste, poète, publiée à l'issue de concours de nouvelles en revues et recueils collectifs, elle est aussi auteur de fictions pour Radio France (émissions «Petits polars» et «Un soir, une histoire» sur France-Bleu). Les beaux dimanches est son premier recueil.
L'objectif des Éditions Quadrature est à la fois modeste et ambitieux : se dédier complètement à la nouvelle de langue française au rythme de trois recueils par an.
Le maître des kanji
Taneka posa son sac et son bâton de bambou. Il avait atteint le col, il n'irait pas plus loin. Il leva ses mains vers le ciel puis les ramena sur sa poitrine, et se plia en deux, touchant le sol de ses doigts pour commencer une série d'assouplissements. Le soleil d'onze heures qu'il saluait de son dos douloureux n'était pas encore arrivé à bout de la rosée d'automne. Un peu de brise agitait les buissons d'azalées sauvages.
Après ses étirements, il se releva, contemplant la montagne, l'à-pic sur la vallée, un îlot sur le lac, tout en bas. Un pin étendait au loin ses branches épurées. Elles se découpaient sur un ciel traversé de nuages transparents. Il resterait là un jour ou deux, décida-t-il. Les rochers qu'il venait de dépasser en montant se creusaient en anfractuosités où un homme pouvait se glisser pour dormir. C'était plus de confort qu'un moine errant n'osait généralement en souhaiter.
Le poète en lui devint sensible à la fraîcheur de l'air, à la rousseur des érables au creux du ravin. Un choucas grinça, puis se tut. Une matinée parfaite, toute la grâce d'un matin d'automne dans la montagne... Le silence était absolu, sans aucun souvenir du crissement estival des insectes. Il murmura :
Un matin d'automne...
Cinq syllabes toutes simples. Le premier vers d'un haïku, ou le dernier ?
Les autres vers lui montèrent aux lèvres, sans effort :
Le chant des cigales
S'est éteint dans la rosée
D'un matin d'automne
Le vent piquant saisissait sa nuque après l'arrêt de la marche et il s'enroula dans son manteau. Il calli- graphierait ces vers. Il avait beau s'exercer sans trêve au détachement, l'ombre d'un voeu effleurait son coeur. Lui aussi, à quarante-cinq ans, entrait dans son automne. Pourvu que les cigales de ses poèmes ne s'engourdissent pas, le froid venu...
L'après-midi était bien avancé quand la brise tomba. Taneka s'éveilla de la courte sieste qui avait compensé son lever avant l'aube. Il rangea la théière et la marmite pour le riz à l'abri d'un buisson, ouvrit son sac. S'il s'installait derrière le rocher qui dominait l'arrivée du sentier, il serait au soleil, à l'abri d'un retour du vent. Il pourrait calligraphier le poème composé le matin, peut-être aussi un autre, choisi parmi ceux qui lui étaient venus en tête pendant la marche des derniers jours.
Il s'agenouilla sur sa natte de paille tressée, prit dans le sac une tunique chaude, qu'il déroula avec précaution. Au creux du tissu molletonné reposait un sachet de toile rouge. Il en sortit quatre pinceaux, bien emballés dans un papier rigide pour empêcher leurs soies de se tordre. Puis il pécha au fond du sachet l'encrier en pierre, qu'il plaça sur une serviette à côté des pinceaux. Il glissa son pouce sur le creux poli, appréciant la finesse du grain que l'âge avait rendu doux comme une peau d'enfant. Il y écraserait le bâton d'encre solide qu'il venait de sortir de sa boîte en paulownia. Il prit aussi dans le sac un rouleau serré, et y choisit une feuille de papier de chanvre, qu'il mit de côté. S'inclinant jusqu'à terre, il salua les objets réunis sur la petite natte, ces quatre trésors du lettré. Du dernier objet nécessaire, le sceau avec lequel il signerait en l'empreignant de cinabre rouge, il n'aurait pas besoin tout de suite. Il le laissa donc dans sa pochette de soie.